LES ALGUES N’ONT PAS FINI DE NOUS ÉTONNER
Les algues sont des organismes aquatiques aux multiples facettes et souvent peu comprises. Les proliférations d'algues posent de grands problèmes environnementaux, toutefois on oublie souvent qu'elles sont aussi une ressource essentielle dans la lutte contre le dérèglement climatique et sont prometteuses dans de nombreux domaines tels que l'alimentation, l'énergie, la captation carbone, la santé, ou encore la purification de l'eau et de l’air.
l’algue, conséquence visible d’un problème plus large
Les algues vertes en Bretagne
Pierre Jolivet, Les Algues vertes, scénario d’après Inès Léraud et Pierre Van Hove, interprété par Céline Sallette (Haut et Court, 2023)
Ce phénomène, appelé eutrophisation, résulte principalement d'un excès de nutriments dans l'eau, en particulier les nitrates et les phosphates.
Les nitrates (NO₃⁻) et phosphates (PO₄³⁻) issus de l’agriculture, de l’industrie agroalimentaire et des eaux usées domestiques sont les principales causes d’eutrophisation des rivières, lacs et côtes françaises. Lessivés par les pluies, ils se retrouvent dans les rivières et sont transportés jusqu'à la mer, où ils favorisent la croissance rapide des algues vertes.
Une fois accumulées, ces algues en décomposition dégagent du sulfure d'hydrogène (H2S), un gaz toxique pouvant entraîner la mort d'animaux et représenter un danger pour l'homme. Le cas tragique de la mort d'un ouvrier et de plusieurs sangliers sur une plage bretonne illustre bien la gravité du problème.
En France, on estime que 60 000 à 90 000 tonnes d'azote et environ 6 500 à 13 000 tonnes de phosphore sont rejetées chaque année dans les milieux aquatiques. L’agriculture représente 70 à 80 % des apports (engrais et effluents d’élevage) mais les effluents industriels sont aussi concernés et ils présentent souvent des concentrations élevées localisées. Les effluents issus des stations d’épurations contribuent aussi à ce phénomène.
L’invasion massive des sargasses dans les Antilles
La hausse des températures de l'eau et la modification des courants marins (notamment le Gulf Stream) induit par le réchauffement climatique mais encore l’enrichissement des eaux en nutriments (nitrates, phosphates, etc.) sont responsables de l’échouage massif de sargasses sur les plages des Antilles, du golfe du Mexique et de l’Afrique de l’Ouest.
L’agriculture intensive, la déforestation et les eaux usées non traitées favorisent le lessivage de ces composés vers l’océan. Une fois en mer, ils nourrissent la croissance incontrôlée des sargasses, qui dérivent ensuite avec les courants.
Lorsqu’elles s’échouent en grandes quantités, leur décomposition produit du sulfure d’hydrogène (H2S) (comme en Bretagne !) et de l’ammoniac, deux gaz toxiques à fortes concentrations. Cela provoque des odeurs nauséabondes, détériore les équipements électroniques, irrite les voies respiratoires et peut nécessiter des évacuations temporaires dans certaines zones côtières.
Entre 2018 et 2022, certains territoires comme la Guadeloupe ou la Martinique ont connu des échouages de plus de 40 000 tonnes par an, avec un coût de ramassage et d’élimination pouvant dépasser 10 millions d’euros annuels par département.
Ce site retrace l’évolution des saragasses de 2003 à 2020 : https://sargassummonitoring.com/fr/sargassum/
L’expansion d’algues invasives en Méditerranée
Caulerpa taxifolia est une algue tropicale qui a été accidentellement introduite en mer Méditerranée, probablement via un rejet de l’aquarium de Monaco dans les années 1980. Elle a depuis colonisé de vastes étendues des fonds marins grâce à sa croissance rapide et à sa capacité à résister à des températures relativement basses.
L’absence de prédateurs naturels dans cette région lui permet de supplanter la flore locale, en particulier les herbiers de posidonies (Posidonia oceanica), qui jouent un rôle écologique essentiel (nurserie pour les poissons, fixation des sédiments, production d’oxygène).
Les algues invasives comme Caulerpa modifient les écosystèmes marins, réduisent la biodiversité et impactent les activités de pêche artisanale. Leur élimination est extrêmement difficile : Caulerpa taxifolia, par exemple, peut se régénérer à partir de fragments de quelques millimètres. En 2000, l’espèce avait déjà colonisé plus de 130 km² de fonds marins méditerranéens.
apprOCHER l’algue comme une solution À IMPACT
Les algues sont pourtant de véritables “ingénieurs du vivant”, elles absorbent le CO₂, filtrent les polluants, nourrissent, soignent et produisent de l’énergie, sans empiéter sur les terres agricoles.
On l’oublie souvent, mais les océans sont les véritables poumons bleus de la planète : ils absorbent environ 25 % du dioxyde de carbone (CO₂) émis chaque année par les activités humaines. Et au cœur de ce mécanisme, les algues jouent un rôle crucial. Les microalgues planctoniques, par la photosynthèse, capturent le CO₂ atmosphérique et le transforment en matière organique, tout en produisant de l'oxygène. Certaines études estiment que plus de la moitié de l’oxygène que nous respirons est produit par ces micro-organismes invisibles à l’œil nu.
Les macroalgues, comme les laminaires ou les sargasses, ont elles aussi un potentiel de captation de carbone à grande échelle, en stockant durablement le CO₂ dans leur biomasse ou en l’acheminant vers les fonds marins lorsqu’elles coulent.
On distingue deux grandes familles d’algues :
Les microalgues (unicellulaires), comme Chlorella, Spirulina ou Dunaliella, qui se développent dans les eaux douces ou marines. Elles sont cultivées en photobioréacteurs ou en bassins ouverts
Les macroalgues (pluricellulaires), comme les algues brunes (Laminaria, Fucus), rouges (Porphyra, Palmaria) ou vertes (Ulva), qui forment de véritables forêts sous-marines, essentielles à la biodiversité marine.
Les algues représentent un ensemble extrêmement diversifié, avec environ 30 000 à 70 000 espèces décrites à ce jour, mais les estimations suggèrent qu’il en existerait en réalité entre 200 000 et 1 million, en particulier dans les environnements marins encore peu explorés. Elles ne forment pas un groupe homogène comme les plantes terrestres, mais sont polyphylétiques : elles proviennent de lignées évolutives très différentes, ce qui explique leur grande diversité génétique et fonctionnelle.
Elles se répartissent en plusieurs grands groupes : les algues vertes (Chlorophyta) avec environ 9 000 espèces décrites, les algues rouges (Rhodophyta) avec environ 7 000 espèces, les algues brunes (Phaeophyceae, au sein des Heterokonta) avec près de 2 000 espèces, et les diatomées (Bacillariophyta), particulièrement nombreuses, avec 20 000 espèces décrites mais potentiellement plus de 200 000.
Chaque souche d’algue possède ses propriétés et ses usages spécifiques, ouvrant la voie à des applications diverses et ayant un impact environnemental positif !
Voici un petit tour d’horizon, loin d’être parfait et non exhaustif, des solutions que les algues ont déjà inspirées !
Captation du carbone et réduction des gaz à effet de serre
Les algues, notamment les microalgues planctoniques, jouent un rôle majeur dans la régulation du climat en absorbant le dioxyde de carbone (CO₂) atmosphérique via la photosynthèse.
Elles produisent aussi une part importante de l’oxygène que nous respirons. Les macroalgues, comme les laminaires, stockent le carbone dans leur biomasse, et certaines solutions innovantes explorent la possibilité de couler ces algues au fond des océans pour un stockage du carbone sur le long terme. De nombreux projets développent aujourd’hui des fermes capables de cultiver des algues à grande échelle, avec l’objectif de capturer des millions de tonnes de CO₂ chaque année.
Traitement des pollutions : des filtres vivants efficaces
Au-delà de la captation du carbone, certaines espèces d’algues sont capables d’absorber des polluants présents dans l’eau, comme les métaux lourds (plomb, mercure, cadmium), les nitrates ou les phosphates. Elles sont ainsi utilisées dans des stations d’épuration ou industrielles pour traiter les effluents issus de l’agroalimentaire ou de la chimie par exemple. Dans les zones portuaires et les bassins d’aquaculture, des cultures d’algues permettent également de filtrer les excès de nutriments avant leur rejet en mer.
Des murs végétalisés intégrant des microalgues ont aussi été développés pour absorber le dioxyde de carbone, piéger les particules fines, produire de l’oxygène et isoler les bâtiments.
Photobioréacteur Planctonid permettant de traiter les effluents industriels chargés en phosphates et nitrates : https://www.usinenouvelle.com/article/planctonid-met-les-microalgues-au-service-du-traitement-des-eaux-industrielles-polluees.N2018702
Une richesse alimentaire insoupçonnée
Les algues sont également une source de nutriments d’une rare densité. Riches en protéines, en fibres, en vitamines (notamment B12), en minéraux (iode, fer, calcium), en antioxydants et en acides gras oméga-3, elles sont intégrées à une variété croissante de produits alimentaires. En Asie, leur consommation est traditionnelle, avec des espèces comme le kombu, le wakame ou la nori, mais elles gagnent aussi du terrain en Europe. On les retrouve dans des snacks, des pâtes, des soupes, des chips ou encore des substituts à la viande. La spiruline et la chlorelle, deux microalgues très riches en protéines, sont quant à elles utilisées dans les compléments alimentaires et les programmes de lutte contre la malnutrition, notamment en Afrique et en Inde.
PrécieuseS et multifonctionnelleS EN AGRICULTURE & AQUACULTURE
Cultivées sans engrais ni irrigation, les algues produisent une biomasse durable qui peut remplacer des polluants. Leur transformation permet de produire des biofertilisants, riches en nutriments et en hormones végétales naturelles, qui améliorent les rendements agricoles sans nuire à l’environnement. Les extraits d’algues sont utilisés comme biostimulants naturels riches en minéraux, en hormones végétales et en acides aminés. Ils renforcent la croissance des plantes, stimulent leur système immunitaire et augmentent leur résistance au stress hydrique ou aux maladies. Contrairement aux engrais chimiques, ces produits améliorent les rendements sans appauvrir les sols.
En aquaculture, certaines algues sont cultivées pour nourrir les poissons ou les coquillages, remplaçant les farines de poisson issues de la surpêche. D’autres espèces sont utilisées comme filtres vivants dans les bassins d’élevage, purifiant l’eau tout en produisant une biomasse valorisable.
https://www.willagri.com/2025/01/06/la-biotechnologie-des-algues-est-lavenir-dune-agriculture-rentable-et-responsable/
Santé et cosmétique : des vertus à exploRER
Les algues regorgent de composés bioactifs aux propriétés intéressantes pour la santé humaine. En cosmétique, leurs extraits sont prisés pour leurs effets hydratants, anti-âge, anti-inflammatoires et détoxifiants. Des entreprises développent des soins à base de fucus ou de laminaires, riches en antioxydants naturels.
En médecine, certaines algues produisent des polysaccharides sulfatés aux effets antiviraux ou anticoagulants. Des recherches sont en cours pour les intégrer à des traitements contre l’herpès, le VIH ou même certains cancers. Des algues comme Ulva ou Porphyra sont également étudiées pour leur potentiel dans le traitement de maladies inflammatoires ou neurodégénératives.
https://www.biotyfullbox.fr/cosmetique-bio/actualite-bio/bienfaits-beaute-des-algues/
L’ALGUE POURRAIT ÊTRE À LA MODE
Les algues offrent une alternative prometteuse aux fibres textiles issues du pétrole ou du coton, très gourmandes en eau et en pesticides. Certaines entreprises innovantes utilisent des extraits d’algues, comme l’alginate (issu des algues brunes), pour créer des fibres biodégradables et compostables. Ces textiles, doux, respirants et naturellement antibactériens, sont utilisés dans des vêtements, des sous-vêtements ou des textiles médicaux. En intégrant des pigments naturels issus des algues, on peut également réduire le recours aux teintures chimiques polluantes. Des marques pionnières testent déjà des t-shirts, des baskets ou des accessoires fabriqués à base d’algues, ouvrant la voie à une filière textile plus respectueuse des ressources.
Tanguy Mélinand, designer breton qui crée des vêtements à base d’algues : https://www.leparisien.fr/finistere-29/tanguy-melinand-lhomme-qui-cree-des-vetements-en-algues-01-03-2023-Z6XOIPO5YNEQNDRZL4H6DLMOCY.php
Recherche en biotechnologie et molécules d’intérêt
Le potentiel biotechnologique des algues est immense. Grâce à leur grande diversité génétique, elles produisent une vaste gamme de molécules d’intérêt : enzymes, pigments, polysaccharides, lipides, protéines bioactives... Ces composés sont utilisés dans les domaines pharmaceutique, cosmétique, alimentaire ou encore agricole. Des recherches sont en cours pour développer des antibiotiques naturels, des vaccins, ou encore des additifs alimentaires à partir d’algues. Les biotechnologies algales permettent aussi d’optimiser la culture d’espèces à fort potentiel via le criblage génétique ou la culture en bioréacteurs intelligents.
Une alternative au plastique
Les algues sont une ressource renouvelable qui peut se substituer à de nombreux produits pétrosourcés. En plus de bioplastiques, certains projets développent des mousses isolantes, des colles, ou encore des films alimentaires biodégradables à partir de macroalgues comme le kelp. Les alginates, carraghénanes ou agar-agar, extraits des algues rouges ou brunes, sont déjà largement utilisés dans l’industrie agroalimentaire comme gélifiants, mais leur potentiel va bien au-delà. En réduisant la dépendance aux plastiques traditionnels, ces innovations participent à la lutte contre la pollution plastique marine.
Les algues pourraient être des biocarburants du futur
Les microalgues produisent naturellement des lipides qui peuvent être transformés en biodiesel. Certaines espèces présentent des rendements en huile très élevés, jusqu’à 30 à 50 % de leur masse sèche. Contrairement aux agrocarburants issus de cultures terrestres (maïs, colza, palme...), les algocarburants n’empiètent pas sur les surfaces agricoles ni sur la production alimentaire. Cultivées dans des bassins fermés ou sur des eaux usées, les microalgues pourraient produire de l’énergie sans contribuer à la déforestation.
Au Coeur d’un écosystème vital
Au-delà de leurs applications économiques, les algues jouent un rôle écologique fondamental. Les herbiers d’algues, en particulier les laminaires et les posidonies, offrent un habitat essentiel pour de nombreuses espèces marines, servent de nurseries pour les poissons et contribuent à stabiliser les fonds marins en retenant les sédiments. Leur préservation est donc cruciale pour la biodiversité marine. Par ailleurs, le développement raisonné de cultures d’algues en mer peut permettre de restaurer des zones dégradées, de limiter l’acidification locale des océans et de réduire l’impact des activités humaines sur les littoraux.
Les algues : Le super-héros de la nature lutte contre le changement climatique : https://ocean.org/fr/blog/seaweed-natures-superhero-is-fighting-climate-change/
Conclusion
Les algues incarnent un véritable réservoir d’innovations durables. Elles offrent des solutions concrètes à des problématiques variées. Bien entendu, leur exploitation ne doit pas occulter la nécessité d’agir sur les causes profondes des proliférations nocives, comme la prolifération des intrants agricoles ou l’urgence climatique. En conciliant régulation des excès et valorisation intelligente de cette ressource, il est possible de faire de cet ingénieur du vivant un levier de transition. Les algues n’ont pas fini de nous étonner : elles pourraient même devenir l’un des piliers d’un futur plus résilient.
En tant que structure d’investissement à impact, Impactivist a à cœur d'identifier et de soutenir des solutions qui œuvrent afin de limiter les pressions sur les écosystèmes et portent des solutions systémiques grâce aux algues.
Nous cherchons chaque jour des solutions, projets, entreprises dans la filière ayant un impact social et environnemental positif. Nous avons identifié plusieurs solutions que vous trouverez dans notre mapping (non exhaustif !). Si vous êtes un acteur à impact engagé dans la filière des algues et que vous n’apparaissez pas dans cette cartographie, dites le nous et on vous rajoute. Et si vous voulez nous rencontrer, n’hésitez pas à nous écrire !